On pensait avoir couvert le spectre des dangers pour la santé : on mange aussi sain que possible, on s’est mis·e au vélo, on scrute la composition de nos cosmétiques. Mais les molécules chimiques qui passent dans notre organisme via un T-shirt emballé dans du plastique ou une robe neuve de qualité discutable nous avaient échappé. Heureusement, des experts de la veille sanitaire défrichent les risques, pour nous sauver la peau. Au sens propre, et habillé.
Nous nous trouvons face à une crise sanitaire dont nous n’avions pas anticipé l’ampleur, avec des produits chimiques potentiellement intégrés à tout ce que l’on fait rentrer chez nous : les vêtements, les meubles, les tapis… » Victoire Satto est consultante et fondatrice en 2015 de The Good Goods, média d’information et bureau d’expertise conçu pour accélérer la transition écologique des marques de prêt-à-porter et du luxe. À 35 ans, médecin-radiologue dans une carrière précédente, elle applique son expertise médicale à son engagement pour une mode qui respecte la santé. « J’ai beaucoup travaillé en cancérologie, et je trouvais aberrant de mettre tant de moyens à essayer de guérir des pathologies qui auraient peut-être pu être évitées avec un autre mode de vie. J’ai donc repensé ma mission de médecin en direction de la prévention en collaborant avec des experts, des avocats, des juristes. La question est extrêmement complexe, il faut s’entourer de personnes dont c’est le métier. » Car en matière de polluants ambiants et de toxicité des produits utilisés dans la fabrication de certains vêtements, on manque d’études rétrospectives. « La pétrochimie n’a que 80 ans, c’est-à-dire à peine deux générations de consommateurs. Ces études doivent en outre prendre en compte les autres biais, comme l’alimentation et les conditions de vie.
Nous nous trouvons face à une crise sanitaire dont nous n'avions pas anticipé l'ampleur, avec des produits chimiques potentiellement intégrés à tout ce que l'on fait rentrer chez nous : les vêtements, les meubles, les tapis... - Victoire Satto
Polluants dans les vêtements : les points de vigilance
Les PFAS (per et polyfluoroalkylées) sont des polluants qui se retrouvent dans l’intégralité de la chaîne de valeur au moment de la fabrication de certains vêtements. Le plus souvent, ceux fabriqués et vendus à bas prix. Victoire souligne qu’il y en a sur les matières premières, « jusqu’au finishing, avec les apprêts. Tout ceci est issu du pétrole. Sans parler des conditions d’entreposage des tissus, avec des pesticides et des antifongiques. Ajoutons à cela les “polybags” dans lesquels les pièces sont emballées entre l’entrepôt et le magasin. Or, on sait qu’il existe un passage transdermique des toxiques. »
La scientifique activiste alerte aussi à propos des nanoparticules issues de l’industrie textile qu’on respire et qu’on ingère : « Les microplastiques sont présents en forte concentration dans les eaux usées rejetées, notamment suite aux lavages en machines. Ils s’infiltrent dans les poissons et dans les eaux potables, puis on peut les retrouver dans les cerveaux, les utérus, les poumons et le sang des populations étudiées, qui vivent en bordure des océans. Les conséquences sont des maladies respiratoires, la stérilité, de cancer, l’obésité, des troubles hormonaux. Toujours en raison des facteurs croisés, les liens avec ces maladies sont très complexes à établir. On constate cependant plus spécifiquement avec les PFAS des cas de naissances prématurées, de troubles du développement du fœtus, de mort fœtale, et des troubles de la puberté chez l’enfant. Les PFAS servent à rendre les vêtements déperlants, résistants à la pluie. Parfois, on les utilise pour des raisons esthétiques de finitions. »
Sans grilles de lecture, on serait vite tenté de finir tout nu. Bonne nouvelle : dès 2025, un affichage environnemental, le « Product Environmental Footprint », sera rendu obligatoire. Il notera les produits selon un écoscore de A à D en fonction de leur impact sanitaire et environnemental. En attendant, l’industrie s’adapte. À son rythme : c’est une très grosse machine, qui doit opérer sa transition.
La laine très fine est extrêmement isolante thermiquement et protectrice - Ariane Bigot
Développer son esprit critique
Ariane Bigot est directrice adjointe mode chez Première Vision, salon international de présentation de tissus et matières premières. À propos de l’évolution des collections, elle souligne : « On voit déjà, pour l’hiver 2024-25, beaucoup de propositions qui sont le signe de la part des entreprises, tricoteurs et tisseurs, d’un investissement dans des matières à valeur ajoutée “bien-être”. Il y a une vingtaine d’années, on a connu des tentatives d’intégrer des nanoparticules dans des vêtements, comme des cellules hydratantes dans des collants. Puis on a réalisé la dangerosité de ces nanoparticules et on les a écartées. Depuis quelques années, on a appris à exploiter les propriétés intrinsèques des fibres naturelles. Celles de bambous par exemple présentent des bénéfices bactériostatiques, qui ralentissent la prolifération des bactéries. La société taïwanaise Umorfil développe des fibres à base de déchets de poisson qui contiennent des acides aminés, du collagène et des peptides marins intégrés : on obtient ainsi naturellement un contrôle des odeurs et une protection anti UV. » Ariane Bigot rappelle ce qu’on aurait presque oublié : « La laine très fine est un atout en cas de canicule : elle est extrêmement isolante thermiquement, et protectrice. Elle maintient un microclimat entre la peau et l’air. Le lin et le chanvre possèdent également des propriétés climatiques très intéressantes. » Selon le règlement de l’Union européenne REACH (qui protège la santé humaine et l’environnement contre les risques liés aux substances chimiques), tous les produits fabriqués en Europe sont censés répondre à une exigence de non-toxicité et d’écocompatibilité. Mais selon Victoire Satto, ces normes devraient plus régulièrement être mises à jour, et se contournent dans les cas de sous-traitances hors CEE. « La base, c’est le bon sens. Et le bon sens, c’est la qualité. » Un rinçage avant de porter chaque nouveau vêtement doit devenir un réflexe : on peut avoir la mode dans la peau, mais il est prudent de ne pas l’avoir dans le sang.
Dès 2025, un affichage environnemental, le « Product environmental Footprint », sera rendu obligatoire.
5 conseils de bon sens de The Good Goods
1. La première question à se poser avant d’acheter un vêtement : est-ce que j’en ai besoin, ou envie ? Si c’est pour une occasion spéciale, est-ce que je ne peux pas plutôt emprunter ou louer ?
2. Se tourner prioritairement vers la seconde main, mais de qualité : « Il faut vérifier les étiquettes, et être prêt à mettre le prix pour une pièce qui durera. »
3. Choisir des matières naturelles, idéalement locales, comme le lin et le chanvre.
4. La laine et le coton recyclés offrent d’excellentes alternatives. Même si les processus restent imparfaits, ça reste moins polluant que d’envoyer des polymères dans les océans.
5. Il faut laver au moins une fois chaque vêtement neuf, mais attention : les PFAS, qu’on appelle aussi « polluants éternels », ne quittent jamais le tissu.
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