All We Imagine as Light de Payal Kapadia: entre amours et sororité 

Mis à jour le 5 octobre 2024 par Isabelle Debuchy
All We Imagine as Light de Payal Kapadia: entre amours et sororité 

Couronné en 2024 du Grand Prix à Cannes, All We Imagine as Light de Payal Kapadia est un film sensible et bouleversant autour d’un trio de femmes. Sur nos écrans le 2 octobre.

En 2021, la cinéaste Payal Kapadia était déjà présente sur la Croisette et avait reçu l’Œil d’or pour Toute une nuit sans savoir, un documentaire autour de scènes tournées lors de manifestations en Inde, à Mumbai (Bombay). Un film conçu en même temps que All we imagine as light, dont le cadre est également Bombay, un personnage à part entière du film. « Mumbai est une ville de contrastes, explique la cinéaste, rencontrée lors de l’avant-première du film à Luxembourg, on y vient pour gagner de l’argent, elle offre de nombreuses opportunités. Les femmes y trouvent plus facilement du travail. C’est une ville oppressante mais aussi un espace de liberté, même si c’est surtout vrai pour les gens aisés. » 

Premier long film de fiction All We Imagine as Light suit l’histoire de trois femmes au parcours jonché d’obstacles. La réalisatrice creuse, en poète, des thèmes qui lui sont chers, comme les inégalités de genre, de classe et de religion, l’amitié, la liberté traitée ici sous l’angle de femmes qui travaillent et vivent seules, mais qui sont prisonnières des carcans sociétaux. « Elles n’ont ni autonomie, ni vie privée » remarque la réalisatrice. Une « première » partie déroule le quotidien de deux infirmières. Prahba discrète et silencieuse a pour co-locataire Anu, jeune fille rayonnante, spontanée et solaire. À la mélancolie et à l’attachement aux traditions de l’une (Prahba) s’oppose le sourire et à l’insouciance de l’autre (Anu) : deux générations sous un même toit qui ne se comprennent pas. Leurs histoires d’amour sont contrariées : Prahba a été mariée à un homme qui vit en Allemagne et qu’elle n’a pas vu depuis un an ; Anu est fiancée à un musulman, communauté honnie des hindous. Payal Kapadia s’est sentie tour à tour proche de ses héroïnes « Si je me suis identifiée au départ du film à Anu, en devenant plus âgée, je me suis sentie plus proche de Prahba. Oh là là, j’ai parfois l’impression de devenir vieux-jeu- rires-- je ne comprends pas certains points de vue des jeunes femmes. Ma mère est peintre et féministe et les jeunes femmes indiennes d’aujourd’hui ne semblent plus partager ces combats pour l’émancipation des femmes ». 

Le récit se déploie par petites touches, à un rythme lent, comme les liens qui se tissent progressivement entre ces femmes : Prahba et Anu bientôt rejointes par Parvaty, une femme plus âgée, veuve et expulsée de son domicile.

Dans le flux de la sororité 

Tout en subtilité, la trame narrative se divise en deux parties : entre la trépidante réalité quotidienne du premier mouvement et le tempo des émotions du second, la caméra glisse au plus près des visages et révèle les désirs enfouis. Un langage visuel minimaliste entre lumières nocturnes de Bombay et celles plus vives des bords de mer, quand le trio s’échappe dans une forêt côtière, près du village de Ratnagiri. 

Le sentiment d’immobilisme se dissout et une nouvelle perspective se dessine : l’amitié naît. « Les règles du patriarcat sont tellement en nous, que nous sommes montées les unes contre les autres. Il est difficile d’éprouver de l’amitié envers d’autres femmes. Nos identités, nos cultures, nos langues sont si différentes. Dans ce film, j’essaie de montrer qu’en mettant les préjugés sociétaux de côté, on peut se soutenir les unes, les autres. C’est une autre manière d’être femme ensemble ».

All we imagine as light, long-métrage mosaïque reflète les facettes d’une Inde qui épouse les contradictions de son époque. La réalisatrice ajoute que l’espoir qu’elle porte dans ce film est : « Que le droit d’aimer qui l’on veut se substitue à l’orgueil et aux traditions familiales. J’ai voulu réaliser un film sur l’amitié et comment l’amitié peut remplacer la famille. Ce sont des liens à inventer. Mes amis comptent beaucoup pour moi, je réalise d’ailleurs des films avec eux !». 

All We Imagine as Light de Payal Kapadia (Inde/France, 1h54). Avec Kani Kusruti, Chhaya Kadam, Divya Prabha..

Coproduit par Gilles Chanial et Govinda Van Maele (Les Films Fauves, Luxembourg) avec la France, l'Inde et les Pays-Bas, le film qui a tous les ingrédients pour séduire un large public sera distribué en Inde prochainement, une gageure pour un long métrage tourné en dehors des studios de Bollywood.

À LIRE AUSSI :

Angélique Kidjo « La musique est avant tout faite pour être vécue et partagée »

Une ouverture de saison réussie (et féminine !) pour le 50e anniversaire de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg

Vicky Krieps, insaisissable luxembourgeoise : « Je ne me sens jamais obligée de rien »