Au Luxembourg, 565 nouveaux cas de cancer du sein ont été diagnostiqués en 2022, ce qui en fait le cancer le plus fréquent chez les femmes. Si le combat contre la maladie reste une épreuve physique et psychologique, les choix de reconstruction – ou non – témoignent d’un parcours personnel où féminité et acceptation se réinventent. Pour ELLE Luxembourg, quatre femmes et un chirurgien partagent leurs histoires.
Le cancer du sein bouleverse chaque année la vie de milliers de femmes. Au-delà du choc de l’annonce de la maladie, ces femmes doivent faire face à un parcours médical éprouvant, des traitements souvent lourds, et des défis émotionnels, familiaux et professionnels qui transforment leur quotidien. Dans ce chemin vers la guérison, la reconstruction mammaire constitue également une étape importante. Bien qu’elle puisse aider de nombreuses patientes à retrouver une partie de leur estime de soi et à se réapproprier leur corps, cette intervention reste un choix personnel, et parfois complexe, car soumis à de nombreuses injonctions. En effet, la reconstruction implique des décisions médicales délicates, des interventions chirurgicales souvent lourdes – et parfois compliquées –, et une période de convalescence exigeante. De plus, elle n’est pas sans conséquences, tant sur le plan physique, avec des risques liés à l’intervention, que sur le plan psychologique, où le chemin vers l’acceptation peut être semé d’embûches. C'est pourquoi un accompagnement global et adapté reste essentiel pour soutenir ces femmes dans leur parcours.
Une maladie omniprésente, un défi collectif
Au Luxembourg, le cancer du sein représente 30 % des cancers féminins diagnostiqués chaque année, touchant des femmes de tous âges et horizons, même si la moyenne d’âge se situe autour de 60 ans. Si les campagnes de dépistage et les progrès médicaux permettent aujourd’hui de mieux le soigner, la maladie laisse des stigmates profonds, au-delà de la guérison physique.
« Lorsque le diagnostic tombe, c’est comme si le temps s’arrêtait. Tout bascule en un instant, et on entre dans un processus où chaque étape, chaque choix, semble vital », confie Stéphanie, qui a combattu un cancer triple négatif, parmi les formes les plus agressives.
Si les traitements – chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie – sont essentiels pour lutter contre la maladie, ils imposent une confrontation brutale avec son corps et son image. Ces changements, souvent perçus comme des pertes, posent inévitablement la question : comment se réapproprier son identité après une telle épreuve ?
Reconstruction mammaire : une réponse, mais pas une obligation
À l’heure actuelle, il existe plus d’une dizaine de techniques de reconstruction. Le choix porté sur une technique ou une autre se décide en fonction du parcours médical de la patiente, du traitement subi et des possibilités. « Pour chaque patiente se trouve un type de reconstruction possible. De nombreux paramètres sont à prendre en compte, la morphologie, si la patiente a subi – ou non – un traitement par radiothérapie, car celui-ci peut altérer la qualité de la peau », explique le Dr Jean-Baptiste Olivier, chirurgien spécialisé en reconstruction mammaire au Luxembourg.
Si la reconstruction mammaire, proposée à de nombreuses femmes après une mastectomie, s’impose comme une étape symbolique – celle de tourner la page –, cette option n’est ni universellement adoptée ni univoque. Selon le Dr Jean-Baptiste Olivier, « la première option, c’est de ne pas se faire reconstruire ; c’est ce que l’on appelle une reconstruction à plat. C’est un choix tout à fait légitime et assumé par environ 60 % des femmes au Luxembourg. Certaines ne veulent pas d’un corps étranger, d’autres acceptent leur corps tel qu’il est, ou estiment qu’elles n’ont pas besoin de cette étape pour retrouver leur féminité. »
Elisabeth, porteuse d’une mutation génétique PAL-B2, fait ainsi partie de ces femmes qui ont choisi une reconstruction à plat, mais pas sans une longue réflexion préalable. « La reconstruction me paraissait une épreuve supplémentaire, après des mois de traitement. Voir certaines de mes proches souffrir de complications post-opératoires m’a confortée dans mon choix. Mais c’était également un acte militant : celui de refuser de me conformer à une norme imposée par la société, qui associe la féminité à des attributs comme les seins ; qui a une idée bien définie de ce à quoi doit ressembler une femme. Je voulais être en paix avec mon propre regard, pas celui des autres. »
Cette décision va à l’encontre d’une pression sociale souvent intériorisée. « Les femmes sont conditionnées à penser que leurs seins définissent leur féminité, alors que c’est bien plus complexe », explique Elisabeth. Ce choix ne signifie pas renoncer à sa féminité, mais plutôt la réinventer, libre des injonctions culturelles et sociétales.
Reconstruction : un chemin long, mais porteur d’espoir
Pour d’autres, comme Chantal et Stéphanie, la reconstruction s’est imposée comme une étape essentielle pour se retrouver. « À 38 ans, rester sans seins était inconcevable pour moi. Ce n’est pas toute la féminité, mais ça en fait partie », raconte Chantal, qui a opté pour des prothèses après une double mastectomie en 2003. Son parcours, ponctué de plusieurs étapes chirurgicales, témoigne d’un processus lent, mais salvateur : « Voir mon corps se reconstruire m’a permis de reprendre confiance et de tourner une page douloureuse. » Vingt ans plus tard, Chantal confesse que ce choix l’a résolument aidé à guérir et ne regrette pas.
Stéphanie, quant à elle, décrit un chemin semé d’embûches, entre complications post-opératoires et ajustements chirurgicaux. « Mon corps était un champ de ruines, il fallait tout reconstruire. J’ai subi cinq opérations en un an. C’était épuisant physiquement et mentalement, mais je voulais retrouver un corps dans lequel je pouvais me reconnaître. Quand ma chirurgienne m’a montré le résultat final, j’ai ressenti un immense soulagement, comme si je redevenais – enfin – moi-même. »
Le Dr Olivier souligne que ces parcours ne sont pas de simples interventions esthétiques, bien au contraire. « En reconstruction, on travaille avec des tissus irradiés, cicatriciels, qui demandent des techniques complexes et souvent plusieurs étapes. Une étude française datée de 2016 stipulait que 60% des reconstructions nécessitaient deux opérations ou plus. Ce n’est pas un retour à l’état initial, mais une manière de recréer un équilibre qui satisfait la patiente. Pour ce faire, une bonne communication est indispensable. Les femmes qui subissent une reconstruction ne sont pas des patientes comme les autres, elles ont vécu des moments très douloureux. Notre rôle est de les accompagner au mieux. »
Féminité : entre résilience et réinvention
Les récits des femmes que nous avons rencontrées révèlent une quête universelle : celle de se réconcilier avec son corps, son identité et sa sexualité, bien au-delà de la maladie. La perte des seins bouleverse non seulement l'image de soi, mais également la perception de la sensualité et des rapports intimes.
Pour Chantal, la reconstruction était une évidence non négociable : « Sans seins, je n’aurais pas pu me sentir femme. Cela impactait non seulement ma féminité, mais également ma capacité à me projeter dans l’intimité. » Son parcours de reconstruction lui a permis de retrouver une forme de confiance et une estime d'elle-même. Elisabeth, elle, a choisi d’affronter la réalité autrement : « J’ai décidé de ne pas me reconstruire, car ma féminité ne réside pas uniquement dans mes seins. Mais cela n’a pas été facile de me déconstruire cette idée dans un monde où le corps féminin est tant sexualisé. » Elle évoque une certaine libération : « Mes cicatrices sont devenues une part de moi, presque un symbole militant, et cela a modifié mon approche de l’intimité. »
Quant à Deborah, qui a choisi de subir une double mastectomie, consécutivement à deux diagnostiques de cancer à dix mois d’écart et de la mutation génétique annoncée le lendemain de l’annonce de son deuxième cancer, cette décision a été pour elle une forme de soulagement. « Mes seins étaient associés à la maladie, alors mon premier réflexe a été de renoncer à toute reconstruction. Mais après un an, j’ai réalisé que je ne me sentais pas entièrement en paix avec ce choix, notamment en raison de remarques et d’une certaine pression sociale. C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’opter pour une reconstruction. J’ai traversé 13 interventions chirurgicales : ce fut un parcours éprouvant. Pourtant, si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. »
Le mot de la fin revient à Elisabeth : « La féminité ne se limite pas à l’apparence. C’est une manière d’être, de vivre, de se sentir libre dans son corps, quelles que soient ses limites. »
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