Lorsqu’on rend visite à Michèle Rob dans sa boutique Vintage, située au deuxième étage du magasin de design contemporain Rob-Carrerouge, on a l’impression d’entrer chez elle. Et en effet cette maison était autrefois celle de sa famille, le showroom ayant été installé par son père au début des années 1970. Michèle a assisté à son premier Salone del Mobile, le plus grand salon du design au monde, à l’âge de trois ans. Le design est sa passion, mais faire de cette passion un métier et perpétuer la tradition familiale est une toute autre histoire.
Vous dirigez l’entreprise familiale depuis plus de 30 ans. Comment vous sentez-vous dans ce rôle aujourd’hui par rapport à vos débuts ?
Quand j’ai repris l’entreprise familiale de mes parents, je n’étais pas seulement la première femme à reprendre un commerce de meubles, mais également la première femme à gérer une menuiserie avec une vingtaine de menuisiers et donc d’évoluer dans un domaine exclusivement masculin. Cette reprise a suscité beaucoup de doutes quant à ma persévérance et ma capacité professionnelle (ndlr : elle a fait des études de droit). J’ai aussi souvent été comparée à mon père qui était menuiser et designer. Au fil du temps, les gens se sont rendus compte que je savais très bien ce que je faisais, que le mobilier design faisait partie de mon ADN et que j’avais fait de ma passion mon métier. Je me suis toujours sentie à l’aise dans mon rôle de cheffe d’entreprise. La différence, c’est qu’aujourd’hui je n’ai plus rien à prouver.
Comment les consommatrices, les consommateurs, ont-elles et ont-ils changé au fil des années ?
Les consommateurs ainsi que notre rôle ont changé. Les gens disposent de beaucoup plus d’information de nos jours et internet a beaucoup pris le dessus en ce qui concerne le « take away » c.à.d. les articles à emporter. Nous avons été contraints de nous adapter et de mettre sur pied un nouveau concept : l’accent est désormais plus mis sur les conseils en aménagement et en luminaires.
« Pour les meubles comme pour les affaires, il en va de même : la qualité reste la règle d'or. »
Qu’est-ce qui fait un « bon design », et comment les personnes moins formées ou expérimentées peuvent-elles reconnaître qu’elles ont un bon design devant elles ?
On reconnaît un « bon design » à sa qualité que ce soit dans son exécution, le choix des matériaux utilisés, les détails fonctionnels. Un bon design ne doit pas forcément être commercial. Chez les grandes chaînes d’ameublement, par contre, la commercialisation du produit est prioritaire, alors que chez les produits que nous vendons la qualité domine - le processus est inversé.
Y a-t-il des tendances qui ne disparaissent jamais selon votre expérience ou qui reviennent ? À quoi peut-on s’at tendre pour 2025 ?
Ce n’est pas pour rien que l’on dit souvent « tout reviendra un jour ». Des tendances années 70 revisitées reviennent cette année - des couleurs comme le bordeaux marié à l’ocre et l’orange ou à d’autres couleurs. Il y a aussi la fausse fourrure et la peau de mouton. Il ne faut pas oublier que le nouveau puise dans la tradition. Il y plusieurs tendances qui se profilent pour l’année prochaine : un orientalisme feutré – mélange de nuances profondes comme l’ébène combiné au métal, ainsi que le laiton et le chrome, l’hommage au radicalisme des années 1980, quadrillage marié aux couleur sucrées. Le design scandinave combiné avec d’autres influences esthétiques reste d’actualité, tout comme les plafonds et murs texturés et les boiseries.
« Nous sommes tous devenus plus éco-conscients ces dernières années. »
Vous proposez les dernières collections et produits de marques de toute l’Europe d’une part, et des pièces de designer vintage rares d’autre part. Pouvez-vous observer une tendance à donner une seconde vie aux produits ?
Les gens préfèrent en général mélanger le nouveau et l’ancien. En 2012 quand j’ai ouvert la boutique Vintage on ne parlait pas encore beaucoup ici au Luxembourg de ce volet du vintage. Mais donner une seconde vie au meubles et objets est devenu de plus en plus important ces dernières années. D’un côté la qualité des meubles fabriqués dans les années 1960/1970 était supérieure à celle du mobilier produit actuellement et nous sommes tous devenus plus éco-conscients ces dernières années.
À quoi ressemble votre maison privée et la changez-vous de temps en temps ?
Chez moi, à la maison, vous trouverez un mélange de pièces vintage iconiques que j’ai héritées de mes parents et auxquelles je tiens beaucoup. Parmi elles, un Eames Lounge Chair, première production Herman Miller, et une lampe Arco de Castiglioni production Flos des années 1960. En mobilier design plus récent, mon salon est habillé d’un canapé Oblong de Cappellini dessiné par Jasper Morrison.
Je change assez rarement l’intérieur de ma maison, car chaque meuble qui en fait partie a été choisi avec soin et a souvent une importance sentimentale ; ce qui ne m’empêche pas de varier un peu de temps en temps en remplaçant un fauteuil, en changeant la couleur des galettes d’assises des chaises, en optant pour d’autres coussins ou en échangeant certains luminaires.
« J'apprécie l'air frais et les nouvelles idées. »
Promouvoir l’entrepreneuriat au Luxembourg semble tout aussi important pour vous que le développement de votre entreprise. Vous avez lancé une campagne en mettant en lumière les « jeunes » entrepreneurs. J’ai eu la chance d’y participer, c’était une superbe campagne ! Pourquoi cela vous tenait-il tant à cœur ?
Comme 2023 marquait mon 30ème anniversaire en tant que cheffe d’entreprise, je me suis demandé comment célébrer. Avec du champagne et des amuses-bouches ou plutôt en investissant dans une campagne en collaboration avec des jeunes entrepreneurs ?
L’année dernière, j’ai eu la chance de faire la connaissance de quelques jeunes et futurs entrepreneurs. Aussi grâce à mon histoire personnelle, j’ai compris qu’aujourd’hui ce n’est pas devenu plus facile d’établir ou faire grandir un business ici au Luxembourg, notamment à cause des loyers élevés et de la situation économique en générale. Et tout ça m’a inspiré à commencer le projet « Pay it forward » qui me tient effectivement beaucoup à cœur.
Comment abordez-vous vos collaborations ?
On s’inspire mutuellement. J’apprécie l’air frais et les nouvelles idées, mais d’un autre côté, j’aime aider quand et où je peux. Cet été, j’ai fourni à Pit Romersa des meubles pour sa maison éphémères de thé « Mizu Tea House ». La fleuriste Kathlyn Wohl, jeune fondatrice de Infiiorata a pu organiser un workshop gratuitement dans mon magasin. Il existe de nombreux exemples de ce type. Un grand projet va sortir en 2025 dont je ne peux pas encore révéler les détails, mais vous allez le découvrir...
Alors, vous ne pensez pas du tout encore à la retraite ? Un membre de la famille est-il prêt à prendre la relève ?
L’esprit entrepreneurial ne s’arrête pas à un certain âge. C’est ma passion, je veux rester connectée. J’ai la chance d’être indépendante et de pouvoir continuer à exercer mon métier au-delà de ma retraite. Il y a certains projets que j’aimerais réaliser. Mon fils vient d’avoir 19 ans et fait des études commerciales et d’économie. Il se pourrait très bien qu’après avoir fini ces études il entre dans la société, ce sera à lui de voir.