Après des études de Costume Design au Royaume-Uni, la luxembourgeoise Caroline Koener est revenue chez elle et s’est construit une carrière impressionnante depuis une quinzaine d’années. Son studio se situe aujourd’hui dans le grenier de sa résidence à Dalheim. Un espace ouvert et rustique qui abrite 9 machines à coudre et une grande table de coupe comme en îlot au milieu de la pièce, où elle créée sans relâche.

Tournage du film Mary Shelley en 2016

Tournage du film Mary Shelley en 2016 © Gidden Media – HanWay Films – Parallel Films

Vous avez travaillé pour le cinéma, le théâtre et la danse. Avez-vous une préférence ?

Je crois que je préfère les vêtements d’époque et que le cinéma est l’endroit pour ça. Avec le théâtre, si différent du film, vous pouvez assister aux répétitions, faire des croquis, penser et développer le costume pendant que la mise en scène se produit. C’est aussi le seul endroit où je peux faire les pièces moi-même, car pour un film, je peux dessiner, mais je n’ai pas le temps de les fabriquer. Je n’ai pas fait de costumes de danse depuis un moment, mais je travaille sur un nouveau projet et j’ai des pièces à venir plus tard cette année !

Vos choix de matériaux et couleurs sont-ils différents pour chaque support ?

Dans un film, aujourd’hui le problème vient des appareils numériques et des vêtements rayés. Surtout en gros plan, certains effets de lumière sont à éviter. J’aime la texture et la façon dont le tissu se comporte, cela peut aider le personnage et l’atmosphère. C’est aussi un 
médium plus détaillé et raffiné que le théâtre où l’on voit la scène de plus loin et où l’on va jouer avec des textures plus contrastées et plus fortes.

Noir d’Ode 1 – Des Mains de Maîtres 2018 © Flavi Hengen

Le début de votre carrière au Luxembourg a-t-il été difficile ?

Au contraire, il a été plus facile que je l’aurais cru. Mon plan n’était pas de rester au Luxembourg et j’ai d’abord travaillé un peu au Royaume-Uni. J’ai encore postulé à l’étranger, mais je ne voulais pas systématiquement 
déménager de ville en ville. Comme j’avais déjà participé à des projets lorsque j’étais à l’école au Luxembourg, par exemple au festival Cinenigma, j’avais un groupe d’amis qui faisaient des films, donc je connaissais déjà quelques personnes de l’industrie cinématographique que j’ai contactées à mon retour. Le fait que je sache dessiner des patrons et confectionner des vêtements a beaucoup fait parler de moi. J’ai donc commencé par faire des costumes pour le théâtre, puis j’ai rapidement été embauchée comme habilleuse pour le cinéma. Comme il s’agit d’un créneau de niche, je pense que c’est le fait de savoir comment faire et d’avoir les compétences nécessaires qui m’a aidée à me développer.

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La haute couture est une vision idéale du costume, c’est celle que j’avais en grandissant.

Quel a été votre projet le plus difficile ?

Au début de ma carrière de costumière, les choses ne se passaient pas comme j’avais appris à le faire au Royaume-Uni. J’étais souvent seule, avec peu d’expérience et des costumes qui n’étaient pas entièrement terminés. Alors je faisais un travail qui aurait déjà dû être fait. C’est là que j’étais la plus stressée et que j’ai le moins dormi. C’est pourquoi maintenant, quand je suis en charge sur un plateau, je m’assure autant que possible de prendre mes responsabilités et de ne laisser personne seul avec un tas de choses pas claires.

C2H4 – Des Mains de Maîtres 2023 © Raymond Camporese.

Vous avez eu l’occasion d’habiller de grands noms comme Catherine Deneuve & Elle Fanning, quelle approche aviez-vous ?

Je ne les ai pas approchées différemment parce que j’ai un système et que je contrôle assez bien la manière dont je procède dans mes créations, j’ai besoin de ma zone de confort. Le plus important est de parler, surtout avec le réalisateur, puis je commence mes mood-boards, où je crée des ambiances pour chaque personnage et travaille sur leur développement. Une fois que je suis confiante avec ce que j’ai, je commence à concevoir.

En général, quand je rencontre l’acteur pour le premier essayage, j’ai déjà mes pièces ou des éléments du stock de costumes pour tester et c’est là qu’il est intéressant d’avoir des conversations avec les acteurs. Ils peuvent se regarder dans différentes tenues, nous pouvons discuter des besoins alternatifs pour un rôle, par exemple s’il est important d’être serré avec une pièce et lâche avec une autre, on parle aussi des aspects pratiques. Quand j’ai travaillé avec Elle Fanning, elle était très jeune, très gentille et il était agréable de parler costumes avec elle. Catherine Deneuve aussi était très ouverte. J’ai fait la même chose pour les deux, travaillé sur le développement de leur personnage. J’avais mon scénario et je savais exactement ce que j’avais à faire.

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Je suis moi-même un peu féministe.

Quel est le point culminant de votre carrière jusqu’à présent ?

Je pense que c’est Mary Shelley, certainement parce que je suis moi-même un peu féministe. Mais j’ai aussi eu des moments forts au début de ma carrière, comme lorsque mon travail a été vu pour la première fois sur scène dans une pièce que j’aimais particulièrement. Ce premier moment de « OMG, mais c’est mon travail là, j’adore mon job ».

Y a-t-il un costume dont vous êtes la plus fière ?

La première fois que j’ai exposé à De Mains des Maîtres, j’ai confectionné une robe avec des objets que j’avais dans mon studio, et c’était la première fois que je faisais quelque chose qui n’était pas destiné à être porté par une actrice, et j’étais donc très libre. Même aujourd’hui, je me souviens à peine de l’avoir faite et je sais juste que je me suis beaucoup amusée. Tout d’un coup, c’était juste devant moi, et ça avait l’air vraiment bien ! Je ne peux donc pas dire que c’est la pièce qui ressemble le plus à ceci ou à cela, mais c’est celle qui m’a le plus libérée.

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J’aime la texture et la façon dont le tissu se comporte à l’écran.

La conception de costumes est généralement faite à la main et unique, un peu comme la haute couture ?

C’est une vision idéale du costume et c’est celle que j’ai eue en grandissant et en étudiant, mais la réalité est que lorsque vous travaillez dans des films contemporains, même au théâtre, vous vous retrouvez généralement avec des budgets qui vous obligent à acheter de la fast fashion.
Même pour habiller de grands noms, il devient difficile d’emprunter chez les grandes marques de mode parce que l’environnement a changé, tout tourne autour de TikTok et d’Instagram aujourd’hui et les marques nous donnent moins qu’avant.

Où se trouvent vos magasins d’occasion préférés ?

Bruxelles et Cologne.

Quel est le temps de préparation moyen d’un costume ?

Pour un film, je dirais 4 à 8 semaines, mais pour le théâtre, c’est généralement 6 à 8 semaines.

Bloe Rack – Des Mains de Maîtres 2021 © Flavi Hengen

Quel serait votre projet de rêve ?

Ce que j’aimerais faire prochainement, c’est de me concentrer un peu plus sur l’art textile ou exposer plutôt que de créer des costumes. J’adore ça, mais je voudrais travailler davantage sur les créations et vraiment avec le matériel, ici, dans mon atelier. J’ai déjà eu des idées et des occasions d’exposer, mais je n’en ai encore jamais trouvé le temps. Un lieu de rêve pour exposer serait…
Contextile, la Biennale d’art textile contemporain au Portugal. Ça ce serait un rêve devenu réalité.

Avez-vous le sentiment que votre secteur se développe au Luxembourg ?

Je dirais qu’il y a certainement une croissance, car lorsque j’ai commencé, nous n’étions pas nombreux et maintenant une nouvelle génération de costumières et costumiers nous rejoint.

L’industrie est aussi en train de changer, avant on devait travailler d’avantage avec des techniciens luxembourgeois et si c’était une coproduction avec le Luxembourg, et une partie du travail devait se faire ici. À présent ce n’est plus obligatoire, donc je ne sais pas comment cela va se développer pour les luxembourgeois.

À tous ceux qui ont l’intention de se lancer dans la 
création de costumes aujourd’hui, je dis: « Foncez ! Allez-y ! Continuez à travailler avec des tissus, envoyez des candidatures partout et montrez-vous ! Il est important de mettre un pied dans la porte, mais aussi de faire du bon travail ! Le reste suivra ».

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