Dans son studio parisien, le designer Erwan Bouroullec et Vitra ont présenté en avant-première leur nouvelle chaise de bureau, Mynt, avant son dévoilement officiel au prestigieux Salone del Mobile de Milan en avril. Bien plus qu’un simple siège, cette création allie confort, design et innovation.

C’est en 2005 qu’Erwan Bouroullec et son frère Ronan ont imaginé pour le café du MUDAM une structure autonome recouverte d’un « ciel » de tuiles textiles thermoformées. Accompagné de meubles Vitra, entre autres, ce lieu de convivialité est devenu un endroit incontournable ayant même accueilli, il y a moins d’un an, la soirée de lancement de ELLE Luxembourg. Cet endroit est représentatif de ce que peut être un bon design : il favorise la communication, la transition et une culture de l’accueil.

© Vitra Design I Erwan Bouroullec

« Habiter le bureau » – est-ce toujours un credo qui sous-tend votre travail et vos conceptions ?

Le travail des designers, c’est de concevoir des outils pour tous les jours, tout le temps. C’est de concevoir une tasse à café, une chaise, un portable… Soit on aime ce travail, soit on ne l’aime pas. Mais en tout cas, pour moi, de mettre en forme toutes ces fonctions, c’est ma grande passion. Quand je dis « habiter le bureau » , je pense qu’une des choses les plus fondamentales, c’est de laisser la place au mouvement et de laisser les choses se transformer. Personnellement je trouve que les meubles et les objets doivent être durables et qu’ils soient suffisamment épurés et polyvalents pour ne pas devenir ridicules quelques années après.

Chaise Mynt © Vitra Design I Erwan Bouroullec

Un design durable, intemporel ?

Un design qui peut toujours s’adapter, et l’une des meilleures façons d’y parvenir, c’est d’être à la fois minimaliste et universel. Je ne me pose pas tant que ça la question de savoir si tel objet sera dans un bureau ou non. Une table sera toujours une table, une chaise sera toujours une chaise, que ce soit aussi bien pour y travailler que pour y faire autre chose.

Et quand on pense à notre façon de travailler aujourd’hui, elle ne se déroule finalement plus uniquement au bureau.

Oui, c’est l’une des grandes transformations de notre civilisation ces 30 dernières années, portée par les technologies mobiles. Aujourd’hui, les sphères personnelle et professionnelle s’entrelacent davantage, tout comme la dimension individuelle et collective. Il est essentiel de favoriser cette transversalité et de permettre une transition fluide entre les activités.

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Je pense qu’une des choses les plus fondamentales, c’est de laisser la place au mouvement.

Pourquoi est-il malgré tout encore « juste » de concevoir une chaise de bureau ?

À l’intérieur de nous, il y a un être conscient et il y a un singe. Et ce singe a besoin de bouger, de jouer, de travailler tous les muscles de son corps. C’est fondamental ! Alors, sans mouvement, il y a un moment où le corps va souffrir. Et quand le corps souffre, en réalité,notre esprit perd un peu de ses capacités. Il ne faut pas oublier de bien se comporter avec soi-même.

Quelle était votre vision, en collaboration avec Vitra, notamment en ce qui concerne l’aspect innovant de votre chaise ?

D’un côté, j’avais juste envie de faire quelque chose d’élégant, quelque chose qui soit un hommage à la beauté des gens, à la beauté de leurs idées, de leurs comportements, de leur diversité… Quelque chose qui parle à notre esprit construit et je ne crois pas qu’une machine puisse répondre à cela. De l’autre côté, il s’agissait d’y introduire  juste ce qu’il faut en termes de performance, afin d’apporter une véritable fonctionnalité qui fait du bien au corps et le libère.

Habiter le bureau © Vitra Design I Erwan Bouroullec

En tant que designer, va-t-on un pas plus loin lorsqu’il s’agit d’un meuble aux fonctions spécifiques ?

En effet, je ne suis qu’un designer. Moi le designer, je manifeste deux choses à la fois : une forme d’ergonomie physique et une forme ergonomique mentale. À l’intérieur d’un objet, j’y mets toujours un peu d’ingrédients comportementaux et j’essaie d’obtenir une recette de comportements la plus élégante et la plus ouverte possible.

Votre chaise Mynt sera lancée ce printemps, avant la plupart des nouveautés du Salone del Mobile à Milan à venir. Pourquoi est-ce important pour vous, pour des marques, d’être présents au plus grand salon du monde  ?

Je suis allé à Milan 25 ans d’affilée, mais j’avoue qu’aujourd’hui je trouve que le Salone del Mobile est devenu trop grand. Aujourd’hui, je préfère des événements plus intimes, comme à Copenhague, qui correspondent mieux à ma pratique centrée sur les meubles et objets du quotidien. Cependant, le design reste une pratique magnifique, car il réunit des producteurs et des consommateurs, des créateurs et des utilisateurs. Dans notre monde consumériste, il est crucial de trouver un équilibre. Les designers, selon moi, ont un rôle clé à jouer en écoutant et en comprenant les besoins des uns et des autres, et c’est dans cette union que nous pouvons trouver les valeurs qui guideront la création de demain.

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C’est fondamental de créer des espaces ouverts et accueillants pour que chacun se sente bienvenu.

La structure que vous avez conçue avec votre frère il y a 20 ans au café du Mudam à Luxembourg n’est pas seulement intemporelle, elle est également très appréciée, car elle rassemble les gens, littéralement autour d’une table… Est-ce que favoriser la communication définit aussi un bon design ?

C’est vrai, au Mudam café, il y a un bel exemple de ce que j’apprécie : une grande table collective, symbole de la société. On peut s’y asseoir ensemble, il y a toujours de la place pour une personne de plus. C’est un symbole qui est éternel d’une certaine manière. Et cette table en bois souple porte les traces de toutes les personnes qui sont passées, ce qui rend l’espace de plus en plus agréable au fil du temps. Une telle interaction entre les gens et l’espace montre comment le design peut également promouvoir des protocoles sociaux qui renforcent les liens entre les individus.

Chaise Mynt - Erwan Bouroullec

© Vitra Design I Erwan Bouroullec

Un design qui raconte alors des histoires et devient un lieu où les gens continuent d’en raconter de nouvelles ?

Oui, on imagine que de nombreuses conversations ont déjà eu lieu ici. Et au fil du temps, le passage des gens rend cet endroit de plus en plus confortable, à l’image des chemins qu’on trouve dans une forêt ou dans la nature. On aime emprunter un chemin simplement parce que quelqu’un a commencé à le tracer avant, puis d’autres ont suivi. Ainsi, lorsque l’on parvient à inscrire un lieu dans le temps et à le rendre toujours plus accueillant, c’est super.

Comme le concept d’hospitalité de Vitra, comment décririez-vous l’idée ?

L’idée de Vitra est simple et importante : « Welcome the people », et surtout, accueillez-les dans toute leur diversité et la magie de la vie. C’est fondamental de créer des espaces ouverts et accueillants pour que chacun se sente bienvenu.

Erwan Bouroullec, né en 1976 à Quimper, a étudié à l’École nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise avant de cofonder, en 1999, un studio de design à Paris. Son travail, qui couvre un large éventail de créations, du mobilier aux projets architecturaux, met l’accent sur la relation entre l’espace, l’objet et l’interaction humaine.

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