Le Luxembourg est un pays de révolutions discrètes. Il avance sans bruit, mais avec détermination. Pourtant, certaines voix restent absentes des conversations qui façonnent la société. Parmi elles, celles des femmes originaires des Balkans. C’est pour pallier cette invisibilité que FATA Luxembourg est né. Rencontre avec Medina Imširović (présidente), Amela Skenderović (vice-présidente), Kosovare Sallahu (secrétaire) et Arza Vatovci (trésorière), qui œuvrent pour une meilleure représentation et participation des femmes issues de l’immigration dans les sphères du pouvoir, de la culture et des médias.

Qu’est-ce qui vous a motivées à créer FATA Luxembourg ?

Le Luxembourg est un pays façonné par la migration, où 73,7 % des résidents ont un passé migratoire (STATEC, 2021). Pourtant, la diversité peine à se refléter dans les espaces décisionnels. Nous sommes visibles par notre nombre mais absentes des hautes sphères. Nous sommes médecins, avocates, enseignantes, entrepreneures, mais combien d’entre nous prennent part aux décisions qui comptent ?

FATA Luxembourg est né de ce constat et d’un besoin fondamental : celui de faire entendre la voix des femmes originaires des Balkans et, plus largement, des femmes migrantes dans les domaines du leadership, de la culture et des médias. Trop souvent, ces femmes sont réduites à la gratitude – reconnaissantes pour les opportunités, les droits, l’inclusion. Nous refusons d’être de simples bénéficiaires : nous voulons être des actrices du changement.

Nos parcours sont marqués par l’engagement et la réflexion sur le pouvoir du récit : qui raconte l’histoire et qui en est exclu ? En tant que juriste, entrepreneure, politicienne et enseignantes, nous avons travaillé sur des projets européens liés aux droits humains et à la mémoire collective. FATA est le prolongement de ce travail : un espace où la diversité ne se limite pas à une belle promesse mais devient une réalité.

© Medina Imsirovic

Quels sont les plus grands défis que vous avez rencontrés en tant que femmes dirigeantes d’une association et comment les avez-vous surmontés ?

Le principal défi ? Transformer la conversation. Le féminisme, en tant que mouvement, ne se limite pas aux questions de genre : il touche au pouvoir, à l’accès et aux opportunités. Et chaque remise en question des structures existantes entraîne une résistance.

Nous avons appris que les gens ne rejettent pas le féminisme en soi, mais l’inconfort qu’il génère. Face à cette réalité, nous avons choisi d’incarner nos valeurs plutôt que de les défendre en permanence. Nous créons des espaces où ambition et engagement familial ne sont pas perçus comme contradictoires, où la tradition n’est pas un frein, mais un socle d’innovation.

Chez FATA Luxembourg, nous voyons chaque jour des femmes qui ne rentrent dans aucune case : scientifiques, PDG, artistes, activistes. Elles réinventent les rôles que la société leur assigne et c’est précisément cette audace qui nous inspire.

Pouvez-vous partager une initiative ou un projet dont vous êtes particulièrement fières et qui a eu un impact significatif au sein de la communauté ?

Un projet marquant a été « Wo du herkommst, wo du hingehst », une collaboration avec l’autrice et éducatrice politique Elona Beqiraj. Cet événement, bien plus qu’une simple lecture, a ouvert un espace de dialogue et de mémoire sur les récits post-migratoires. Il a démontré un besoin essentiel : celui de lieux où les expériences de la migration sont non seulement partagées, mais aussi reconnues comme des éléments fondateurs du débat sociétal.

Icone citation

Nous créons des espaces où ambition et engagement familial ne sont pas perçus comme contradictoires.

FATA Luxembourg ne se limite pas à organiser des événements : nous voulons provoquer des discussions qui perdurent et créer des impulsions durables. L’accueil bienveillant que nous avons reçu dans le milieu associatif luxembourgeois nous conforte dans cette ambition. Nous avons construit, en quelques mois, un espace où chaque femme se sent écoutée et légitime. L’impact ne se mesure pas seulement en chiffres. Il se mesure aussi par l’impact que nous avons sur les mentalités que nous faisons évoluer.

© FATA Luxembourg

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent s’engager dans une association ou dans un rôle de leadership ?

Trop souvent, on apprend aux jeunes femmes à être discrètes et reconnaissantes. Mais à qui cela profite-t-il réellement ? À toutes celles qui hésitent encore, nous disons : osez. Franchissez les portes des espaces où l’on vous a dit que vous n’aviez pas votre place. L’intégrité sera toujours votre meilleure boussole.

Écoutez les autres mais ne vous laissez jamais réduire au silence. Une leader n’est pas celle qui a toutes les réponses mais celle qui sait rassembler celles et ceux qui les détiennent. L’humilité et l’humour sont des alliés précieux. Surtout, rappelez-vous : le leadership ne repose pas sur un titre mais sur l’impact que vous avez autour de vous.

Quels sont vos rêves et ambitions pour l’avenir de FATA Luxembourg ? Où aimeriez-vous voir l’association dans cinq ans ?

Nous voyons grand car notre communauté est notre famille. Nos traditions ne sont pas des obstacles mais des ancrages. Autour de nos tables du dimanche, les discussions ne portent pas seulement sur le passé mais sur l’avenir que nous voulons bâtir.

Icone citation

À toutes celles qui hésitent encore, nous disons : osez.

Dans cinq ans, nous voulons que FATA Luxembourg devienne un centre d’éducation, de réseautage et d’autonomisation. Un espace où les jeunes femmes découvrent leur potentiel, trouvent des mentors et impulsent un changement durable.

Nous voulons collaborer avec les institutions, les artistes, les éducateurs et les décideurs pour que le Luxembourg ne soit pas seulement un lieu où l’on accueille la diversité, mais un pays où elle façonne l’avenir. Nous ne rejetons pas la tradition : nous la redéfinissons. Nous ne résistons pas au changement : nous le façonnons.

Avec FATA Luxembourg, Medina Imširović, Amela Skenderović, Kosovare Sallahu et Arza Vatovci tracent une nouvelle voie pour les femmes migrantes au Luxembourg. Leur ambition ? Faire de la diversité un levier de transformation, et non une simple statistique.

À LIRE AUSSI

CID Fraen an Gender : pour l’égalité des genres au Luxembourg

IMANI House : Un espace de créativité et d’empowerment pour toutes les femmes au Luxembourg

Les certificats de virginité interdits au Luxembourg