Biennale de Venise: entre approche expérimentale et dialogue artistique

Mis à jour le 5 juillet 2024 par Sarah Braun
Biennale de Venise: entre approche expérimentale et dialogue artistique© Alessandro Simonetti

S’il est un temps fort dans la carrière d’un artiste contemporain, c’est bien la Biennale de Venise. Pour la 60E édition de l’institution, le Luxembourg a porté un projet performatif des plus audacieux autour du son, imaginé par l’artiste Andrea Mancini et le collectif Every Island. Alors qu’ils venaient à peine de poser leurs valises dans la Cité des Doges, Andrea Mancini et Caterina Danzico nous ont accordé un peu de leur temps.

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris que vous étiez sélectionnés pour représenter le Luxembourg à la 60e Biennale de Venise ?

AM : Nous avons été très surpris, car nous avons proposé un sujet très expérimental. Nous sommes donc d’autant plus heureux et reconnaissants que le Luxembourg nous ait donné l’opportunité de mener ce projet à bien.

CD : Oui, c’est vrai, comme tu le dis, il y a une facette très expérimentale. La biennale peut avoir un côté un peu rigide, avec des expositions monographiques, ou des artistes déjà bien établis… Ce n’était donc pas gagné d’avance qu’ils s’intéressent à une proposition comme la nôtre. J’y vois le signe d’un travail en bonne intelligence : cela a été difficile pour nous de traverser tous les aspects bureaucratiques et normatifs, mais je pense que cela a été aussi éprouvant pour eux de faire ce pas de côté.

Caterina, pouvez-vous nous raconter comment s’est formé Every Island ? Comment avez-vous rencontré Andrea ?

CD : Nous étions déjà tous amis. L’aventure Every Island a débuté pendant la crise sanitaire, au moment où le gouvernement débloquait des fonds pour le secteur de la culture. Nous avons commencé par un premier projet, consacré aux espaces performatifs, paradoxalement à un moment où les rassemblements publics étaient fortement contrôlés. Cela a vraiment constitué la base de nos recherches. C’est un projet multidisciplinaire, même si nous sommes tous architectes. Andrea nous a rejoints durant notre troisième ou quatrième projet, à Bruxelles où nous vivions et où nous avions une résidence au Cas-Co Leuven… Il s’est joint à nous : voilà comment tout a commencé.

AM : Je suivais le travail d’Every Island depuis leur tout premier projet « WELCOME : (a) ceremony » et je connaissais plusieurs personnes qui travaillaient avec eux. C’est vraiment par ce biais que la rencontre s’est faite. Ils ont également porté un projet pour le Mudam, il y a deux années de cela (l’Afterparty de la Nuit des Musées, en 2022, ndlr.). Lorsque j’ai vu l’appel à candidatures pour le pavillon luxembourgeois, j’ai immédiatement pensé à eux, car ils sont du côté de la performance. On a bu un café – non c’était une bière – et on a décidé d’y aller !

Cette notion d’aller à la rencontre d’étrangers, d’accueillir des inconnus, est au cœur même de « A Comparative Dialog Act »

Andréa, vous êtes luxembourgeois. Est-ce une fierté particulière de représenter votre pays pour un tel événement que la Biennale de Venise ?

AM : Je suis très heureux que le Luxembourg nous ait offert cette opportunité, et ce d’autant plus que c’est un pays qui accueille de nombreux étrangers, pour des raisons très diverses et variées. Cette notion d’aller à la rencontre d’étrangers, d’accueillir des inconnus, est au cœur même de « A Comparative Dialog Act ». Ma fierté réside dans cette dimension d’ouverture à l’autre.

Pouvez-vous nous raconter la genèse de « A Comparative Dialog Act » ?

CD : On a tout de suite été enthousiastes quand Andrea nous a fait part de son intention ; la performance l’intéressait particulièrement. Il est notamment venu avec cette idée hyper percutante : travailler autour du son de manière assez sensorielle. Cela a constitué notre matériau de départ. Nous avons ensuite étudié      de nombreux travaux sur la domesticité, les espaces publics et l’interaction entre les deux. Très vite, on s’est penché sur des espaces de production.

AM : Notre première volonté était de créer un lieu productif pour d’autres artistes afin de pouvoir y créer ensemble. C’était primordial pour nous d’ouvrir une forme de dialogue entre les artistes. Le son s’est imposé comme un matériau évident, puisqu’il est intrinsèque au dialogue ; il est la base de la transmission de connaissances. C’est ce qui nous a amenés au projet tel qu’il est présenté à Venise.

L’idée de produire un vinyle plutôt qu’un catalogue d’exposition s’est imposée d’elle-même, j’imagine ?

CD : Bien sûr, puisque notre installation reposait sur le son. C’était tout naturel que l’objet qui demeure au sortir de la Biennale soit un vinyle. Ça sera une manière de conserver une trace de ce que les artistes auront produit durant les six mois d’exposition. Cela est également un petit clin d’œil au sol du pavillon, qui est véritablement engravé, comme la surface d’un disque.

C’est un mélange de quatre approches différentes, qui se complètent et se répondent, en quelque sorte.

Comment s’est arrêté votre choix des quatre artistes qui, tour à tour, occuperont le pavillon luxembourgeois ?

AM : Tout d’abord, nous voulions des performateurs, qui étaient déjà coutumiers du travail du son. Ensuite, notre décision s’est faite de concours avec la curatrice, Joel Valabrega, qui a également une sensibilité particulière pour la performance. Ensemble, nous avons choisi des artistes qui ont des approches très différentes. Par exemple, Seline Davasse (Ankara), la toute première à avoir pris possession de l’espace, utilise sa voix pour incarner des animaux domestiqués : elle aborde ainsi des sujets sociétaux par un biais plutôt humoristique. La Française Céline Jiang utilise sa voix qu’elle combine à du sound design ou des instruments plus traditionnels, comme la flûte. Stina Fors, elle, utilise sa voix comme un instrument, explorant différents registres, avec des atmosphères très particulières, en relation avec l’espace et le public. Enfin, l’Espagnole Bella Bàguena – sans doute la plus « musicienne », mais avec un background de la performance –, utilise également sa voix en utilisant des technologies et des codes de la culture pop. C’est un mélange de quatre approches différentes, qui se complètent et se répondent, en quelque sorte.

Comment avez-vous collaboré avec Joel Valabrega ?

CD : On connaissait déjà bien son travail, c’était vraiment stimulant de travailler avec quelqu’un qui a une telle expérience de la performance. L'approche du groupe a été très collective, tout comme notre collaboration. Idem avec Lorenzo Mason, notre directeur graphique, car il y a vraiment eu un riche échange entre toutes les parties prenantes. Le projet s’est construit de manière chorale, de façon très intuitive.

AM : Oui, Joel Valagreba est vraiment l’une des pointures actuelles dans le domaine de la  performance. Elle nous a énormément aidés et nous a conseillés à bien des niveaux. C’est la première fois que nous nous lancions dans un projet d’une telle ampleur, qui conjugue performance visuelle et sonore ; d’ordinaire, la plupart des performances relèvent plutôt du corps.

Quels autres pavillons comptez-vous visiter durant la Biennale ?

CD :  Très certainement la Belgique, un très beau projet avec le travail de Petticoat Government, qui regroupe des pratiques très diverses, qui aborde aussi de l'idée du collectif en un sens, avec des thèmes qui font écho à notre pratique.

AM : Je suis très curieux de voir le pavillon japonais de l'artiste Yuko Mohri. Je l’admire beaucoup, ses installations sonores cinétiques m'ont beaucoup inspiré. Le pavillon sud-coréen avec Koo Jeong-a, qui travaille autour du sens de l’odorat, m’attire également. Cela sera très intéressant… Et puis, flâner entre les pavillons sera une très belle expérience !